Kudos, Rachel Cusk

Je suis allé pêcher cette lecture dans la liste des 100 livres remarqués de l’année 2018, liste élaborée par le New York Times. Je ne connaissais pas Rachel Cusk et son œuvre mais je me suis laissé tenter par la brève description qui en était faite. Je l’ai lu dans sa version originale. A ma connaissance, Kudos n’est pas encore traduit et publié en français.
Kudos est le récit à la première personne de Faye, une écrivaine qui se rend en Europe. Il m’a d’ailleurs fallu attendre le dernier tiers du roman pour que son prénom soit révélé. La destination exacte n’est pas précisée, tout ce qu’on en sait, c’est qu’il s’agit d’un pays au climat ensoleillé. Elle participe à un festival littéraire pour y faire la promotion de son dernier ouvrage. Ce faisant, elle croise un certain nombre de personnes avec qui elle discute. Rares sont ses interlocuteurs à être nommés mais leurs conversations sont rapportées dans le détail. Là où on pourrait s’attendre à des conversations superficielles entre inconnus, c’est l’inverse qui se produit. Les échanges sont très profonds, comme si le fait de parler avec des inconnus comportait moins d’enjeux et permettait de parler des choses qui comptent vraiment. Il est notamment question des relations de couple et des relations entre parents et enfants.
Kudos est un roman très intéressant à suivre à condition de ne pas perdre le fil. Il m’est en effet arrivé de reprendre ma lecture et de devoir remonter un peu plus haut pour me remémorer avec qui la narratrice était en train de dialoguer. Outre la fatigue de la fin de journée, la raison est aussi que les interlocuteurs sont rarement nommés et la narratrice fait référence à eux en disant « he said » ou « she said« . Signe peut être que le propos est plus important que le messager. Pas toujours facile de s’y retrouver. J’ai même mis un peu de temps à identifier les narratrice comme étant une femme. Reste que le propos de Rachel Cusk est pertinent et très actuel. Peut-être un peu intellectuel, donc il faut savoir qu’il ne conviendra pas aux lecteurs à la recherche d’action. Il plaira davantage à un lectorat plus versé dans le cérébral. Il semblerait que Kudos soit le 3e volet d’une trilogie après deux autres romans intitulés Transit et Outline. Dommage pour moi de l’apprendre en fin de lecture seulement. C’est ce qui s’appelle prendre le train en route.

Le collectionneur, Chrystine Brouillet

Cela fait plusieurs années que j’avais envie de lire un roman de Chrystine Brouillet, auteure québécoise de nombreux romans policiers. J’ai choisi le collectionneur qui est paru en 1995.

Maud Graham est une enquêtrice de police qui travaille à Québec. Elle est mandatée sur une enquête quand le corps d’une femme est découvert avec un membre manquant. Ce cas ressemble à d’autres meurtres similaires à Montréal et aux Etats-Unis qui sont demeurés non résolus. Mais à chaque fois, c’est un morceau différent du corps qui est prélevé. La presse ne tarde pas à faire un lien entre toutes ces affaires et affuble le présumé tueur en série du surnom de collectionneur.

Je qualifie le collectionneur de bon roman policier mais sans plus. Je vous explique pourquoi. Tout d’abord, on a affaire à un tueur particulièrement cruel et malade. C’est donc un personnage qu’on aime détester. L’originalité du récit tient dans le fait que certains chapitres nous font vivre les pensées et l’action du point de vue du tueur. Le lecteur apprend ainsi à le connaître et à deviner ses prochains coups. J’ai aussi beaucoup aimé la galerie de personnages proposée par Chrystine Brouillet. Maud Graham n’est pas parfaite : aujourd’hui séparée, elle est nostalgique de sa vie de couple, elle est en surpoids et ne s’entend pas avec sa hiérarchie. Mais les personnages secondaires sont eux aussi très réussis, tels Grégoire le jeune prostitué de 16 ans que Maud Graham prend sous son aile sans toutefois parvenir à l’apprivoiser complètement et qui la surnomme affectueusement « biscuit » (comme les biscuits Graham, célèbres au Québec). Il y a aussi Gagnon, le légiste secrètement amoureux de Maud ou encore son collègue Rouaix qui soutient Graham dans son enquête. Chrystine Brouillet n’hésite pas traiter de sujets malheureusement encore d’actualité en 2019 comme les fugues adolescentes, la drogue ou la prostitution, en l’occurrence la prostitution masculine. Le seul point qui m’a dérangé dans le collectionneur est le fait que le récit va parfois un peu vite. Je pense notamment aux liens qui sont faits très rapidement entre toutes les affaires similaires mais aussi à la fin du roman avec une confrontation finale qui aurait pu durer davantage. Donc voilà, j’ai pris du plaisir à lire ce roman mais j’en aurais voulu plus ! Une bonne raison de lire un autre roman policier de Chrystine Brouillet ? Sans doute, d’autant que Maud Graham est un personnage récurrent que j’aurai plaisir à retrouver.

Le Dieu venu du Centaure, Philip K. Dick

Un peu de fantastique avec Philip K Dick. Ça ne fait pas de mal de temps en temps, n’est-ce pas ? La dernière fois avec cet auteur, c’était il y a 10 ans avec un roman intitulé Substance Mort.

Le Dieu venu du Centaure - Philip K. Dick

Dans le Dieu venu du Centaure, il est question de drogue comme dans Substance Mort. Toutefois le contexte est différent puisque le Dieu venu du Centaure se passe à une époque où les hommes ont colonisé le système solaire et notamment la planète Mars. La vie de colon est rendue difficile par les conditions martiennes hostiles et la promiscuité dans les « clapiers ». Pour s’évader les colons ont recours au D-Liss, une drogue utilisée en conjonction avec les combinés P.P. (pour Poupée Pat), qui permet de s’évader quelques minutes en « revenant » sur Terre sous l’identité de la poupée Pat et de son compagnon Walt. Barney Mayerson est employé comme précog par l’entreprise les combinés P.P. Ses talents lui permettent d’anticiper les futures tendances, ce qui fera « le buzz » dans quelques semaines ou quelques mois ainsi qu’on le décrirait aujourd’hui. Son patron, Léo Bulero, est inquiet car le retour dans le système solaire de l’homme d’affaires et aventurier Palmer Eldritch menace son juteux business. En effet, il revient avec une drogue nommée K-Priss qui est décrite comme plus efficace que le D-Liss et en passe d’être approuvée par les Nations Unies.

Le Dieu venu du Centaure est très déstabilisant pour le lecteur bien que facile d’accès. Il est difficile de démêler la réalité et ce qui est imaginé ou vécu sous l’influence de la drogue par les personnages. Il est facile de s’égarer dans les méandres du récit mais surtout dans les méandres du cerveau de Philip K. Dick qui démontre avec ce roman que les territoires restant à explorer par l’Homme se situent tout autant aux confins de l’espace qu’à ceux du cerveau humain. Pas une grande lecture pour ma part mais la confirmation que l’univers de Philip K. Dick est bien touffu.

La communauté de l’anneau, J. R. R. Tolkien

Trop peu de temps et tellement de livres à lire ! Figurez-vous que je n’avais encore jamais lu le Seigneur des Anneaux. En fait mes lectures adolescentes ou de jeune adulte ne m’ont pas conduit vers la littérature fantasy. J’essaie donc de me refaire une culture dans ce domaine avec un des plus gros morceaux du genre. Alors, évidemment, j’ai vu les films il y a bien longtemps déjà mais la trilogie de Peter Jackson n’avait pas exercé une énorme fascination sur moi. Je me disais que c’était parce que je n’avais pas lu les livres. Mais à la lecture de ce premier tome, la communauté de l’anneau, vous verrez que je n’ai pas vibré plus que ça.

Frodon Sacquet est un jeune Hobbit. Enfin relativement jeune car il vient d’atteindre la majorité chez les Hobbits, à savoir 33 ans. Les Hobbits sont une peuplade d’une terre fictive qui vivent dans la Comté (anecdote, il existe une commune dans le Pas-de-Calais qui s’appelle La Comté). Le jour de ses 33 ans, Frodon hérite de son oncle Bilbon Sacquet, infatigable voyageur (une chose rare chez un Hobbit), qui ayant atteint l’âge vénérable de 111 ans, décide de se retirer de la vie. Il laisse tous ses biens à Frodon, dont un mystérieux anneau. Ce dernier recèle de nombreux pouvoirs, comme le sorcier Gandalf le gris l’explique à Frodon. Véritable outil au service du mal, cet anneau doit être détruit par son possesseur, à savoir le jeune Frodon. Celui-ci, accompagné de trois de ses amis Hobbits (Sam, Pipin et Merry) se mettent en route vers la montagne du destin. Après un premier périple, les 4 compagnons arrivent chez les elfes où ils se voient adjoindre l’aide de plusieurs personnes pour former la communauté de l’anneau. Leur mission : poursuivre la route pour aller détruire l’anneau qui est convoité par les forces du mal. Deux humains, Aragorn et Boromir, un elfe, Legolas, un nain, Gimli, et Gandalf forment cette communauté de l’anneau et doivent affronter de nouveaux périls pour détruire l’anneau.

Moi qui pensais avoir affaire à un roman où l’action était omniprésente, j’ai été déçu. La longue introduction sur les mœurs des Hobbits est un préambule au périple. On y pose un peu l’histoire de l’anneau et Gandalf explique comment il est arrivé entre les mains de Bilbon mais que c’est long ! Même chose avec la première partie du voyage des 4 Hobbits où la menace certes se précise mais reste très lointaine. Il faut attendre 400 pages sur 600 pour qu’ils arrivent à Fondcombe et que la communauté de l’anneau avec les 9 compagnons de route se mette en place. Dès lors, oui il y a de l’action et c’est intéressant. Mais plus d’un peuvent se décourager avant d’arriver à ce point du récit. Tolkien n’aide pas non plus son lecteur avec de nombreux chants qui font la joie des elfes et des hobbits mais qui selon moi n’apportent pas grand chose au récit, sinon pour donner une couleur locale au récit.

Je pense que je vais lire les deux autres tomes mais sans me jeter dessus immédiatement. D’autres lectures viendront s’intercaler, histoire de changer de rythme !

Pomme S, Eric Plamondon

Il est temps de réparer une injustice ! Après avoir parlé des deux premiers opus de sa trilogie, à savoir Hongrie-Hollywood Express et Mayonnaise, j’avais négligé de chroniquer Pomme S d’Eric Plamondon. Je l’avais lu dans la foulée des deux autres début 2013 (6 ans déjà) mais je n’en avais pas encore fait mention ici. Qu’à cela ne tienne, j’ai relu Pomme S pour bien vous en parler.Pomme S, c’est l’histoire de Steve Jobs revue et corrigée par la plume d’Eric Plamondon. Ca veut dire des liens entre des faits apparemment anodins ou non connectés, présentés dans un ordre qui n’appartient qu’au récit voulu par l’auteur. Le tout entremêlé de chapitre sur le narrateur et Gabriel Rivages, personnage sans doute alter ego de l’auteur, qu’on retrouvait déjà dans les deux autres romans de cette trilogie. C’est le roman de la maturité pour Gabriel Rivages. Dans cet opus, on y découvre en effet un narrateur qui est devenu un père ému devant son fils.

Quel est le lien entre Johnny Weismüller, Richard Brautigan et Steve Jobs. L’année 1984 a été centrale pour ces trois personnages publics. Weismüller est mort cette année-là, de même que Brautigan qui s’est suicidé en 1984. Cette année est beaucoup moins funeste pour Jobs. Eric Plamondon retient cette année car c’est le lancement du Mac avec une publicité passée dans les annales. Pour la voir, c’est ici : Apple 1984. Réalisée par nul autre que Ridley Scott (Alien), elle marque le début de ce qu’on appelle aujourd’hui le storytelling en marketing et en publicité. L’histoire que la marque raconte prend le pas sur les produits eux-mêmes. Nous sommes en 2019, 35 ans après 1984, et Apple a gardé cette ligne directrice. Vous n’achetez pas un iPhone uniquement pour ses capacités techniques mais aussi (voire surtout) parce qu’Apple vous fait rêver. Et bien la vie de Steve Jobs, c’est un peu pareil. Il n’a jamais cessé de raconter une histoire sur son parcours, quitte à travestir certains épisodes. Et l’histoire que nous raconte Eric Plamondon à propos de Steve jobs est elle-même passionnante. Ces petits chapitres se dévorent les uns après les autres et sont parfaits pour notre époque de snackable content.

C’est donc l’esprit tranquille que je referme officiellement cette trilogie. Pour mieux me consacrer à une autre roman d’Eric Plamondon.

My absolute darling, Gabriel Tallent

Attention malaise. Ou plutôt malaises. Il faut l’écrire au pluriel car on bascule à plusieurs reprises du côté sombre de l’âme humaine dans My absolute darling, le premier roman de l’auteur américain Gabriel Tallent.

On peut faire confiance aux éditions Gallmeister pour dénicher des voix originales qui hésitent pas à aborder des thèmes qui dérangent. Ces gens-là ne peuvent pas s’empêcher de gratter les croûtes de nos petits et grands bobos. Et c’est le cas de Gabriel Tallent. Que nous raconte-t-il dans ce roman ?

My absolute darling raconte l’histoire d’une jeune fille surnommée Turtle. Elle a 14 ans et vit avec son père depuis le décès de sa mère alors qu’elle était encore une enfant. Le problème est que son père est un peu extrême dans son éducation (euphémisme !). Il veut qu’elle soit forte dans sa tête et physiquement et qu’elle sache manier les armes à feu. Il y en a une petite collection dans la maison et chaque jour est le prétexte à un exercice et à des leçons de vie. La maison est très mal entretenue avec des murs ouverts aux courants d’air et un mobilier fait de bric et de broc. Au collège, Turtle est une élève en difficulté. Sa situation interpelle une de ses professeurs mais Turtle se ferme quand on lui demande comment ça va à la maison.

Pour tout vous dire j’ai failli arrêter ma lecture à la fin du premier chapitre car il se termine sur une scène très dure. Et puis j’ai continué mais toujours avec une boule à l’estomac. J’ai eu envie de savoir si une issue était possible pour Turtle étant donné la situation. Et je me suis même plongé sérieusement dans le récit un peu fou imaginé par Gabriel Tallent, enchaînant les chapitres jusqu’au dénouement. Voilà donc un roman qui secoue son lecteur. Que le premier qui reste indifférent à la lecture de My absolute darling lève la main !

13 raisons, Jay Asher

Je n’ai pas encore regardé la série 13 reasons why qui passe sur Netflix mais j’en connais le pitch. C’est l’histoire de Hannah Baker, jeune lycéenne américaine qui se suicide et qui laisse derrière elle des cassettes audio (oui ça existe encore en 2018 on dirait) aux 13 personnes qui selon elle sont responsables de son suicide. Ce que je savais pas en revanche, c’est que la série était basée sur le premier roman d’un auteur américain nommé Jay Asher et publié en 2007.

13 raison Jay Asher

Nous voilà en train de lire les pensées de Clay Jensen, qui connaissait Hannah Baker puisqu’ils partageaient plusieurs cours dans leurs emplois du temps, au moment même où il reçoit les cassettes envoyées par Hannah après son suicide. Hannah les a envoyées aux 13 personnes qui ont joué un rôle dans son suicide. Clay n’est pas le premier et il découvre au fur et à mesure quelles personnes ont conduit petit à petit à la mort de Hannah. Elle revient également sur les lieux de sa ville qui ont marqué son parcours et sa chute. Le suspense ne provient pas de l’issue, on sait d’emblée qu’Hannah s’est tuée. En revanche, on se demande avec Clay pourquoi il est parmi les destinataires des cassettes alors qu’il considère qu’il n’a rien fait de mal.

Le roman est plutôt court avec 186 pages. Ça tombe bien c’est ce qui donne son rythme au récit. Pas le temps de s’ennuyer avec de longues présentations des personnages, on est tout de suite dans le vif du sujet. 13 raisons alterne entre ce que dit Hannah sur les cassettes et les pensées de Clay. C’est un peu perturbant au début mais ensuite, une fois qu’on a bien fait son cerveau à cette gymnastique (je suis un homme, pas facile de suivre deux choses à la fois), tout se passe bien.

13 raisons est une lecture qui sensibilise le lecteur à son comportement vis-à-vis d’autrui. Les rumeurs, les comportements sexistes, le harcèlement sexuel, voilà ce qui a mené la jeune fille à se tuer. On peut éventuellement reprocher à Jay Asher un manque de réalisme à certains moments (jamais Hannah ne se tourne vers ses parents qui sont quasiment inexistants dans son récit) mais le roman permet d’introduire une certaine gravité auprès d’un public de lecteurs qu’on devine jeune et d’ouvrir le débat sur le harcèlement et le sexisme. Une ouverture d’esprit indispensable.

Avant la chute, Noah Hawley

Un livre repéré quelques semaines après sa sortie et au résumé prometteur : un jet privé s’écrase au large de New-York. Deux personnes survivent. S’agit-il d’un accident ou d’un attentat ? En effet certains des passagers étaient des personnalités en vue…

Avant la chute - Noah Hawley

L’intrigue est somme toute assez simple et promet une belle enquête. Je n’ai pas été déçu par ma lecture d’Avant la chute. En effet, Noah Hawley sait jouer le suspense dans son écriture. Il suit un des survivants dans les jours qui suivent le crash de l’avion. Il s’agit de Scott Burroughs, un artiste peintre qui essaie de se relancer après plusieurs années de vaches maigres en peignant des tableaux représentants des catastrophes et des accidents. Coïncidence ?

Noah Hawley revient sur le parcours de chacun des passagers, y compris le personnel de la compagnie aérienne mais aussi sur la personne chargée de l’enquête. Outre les trajectoires individuelles qui sont décrites, Avant la chute est aussi une chronique de certains maux de l’Amérique contemporaine. En particulier l’essor des chaînes d’information continue avec un penchant assumé à droite (coucou Fox News). Dans le roman, la chaîne s’appelle ALC et son présentateur vedette fait tout pour exploiter la catastrophe en allant de polémique en polémique afin de réaliser des audiences. Il va jusqu’à s’immiscer dans la vie personnel des survivants et des personnes décédées dans l’accident.

Allez un petit bémol tout de même. L’explication du crash de l’avion m’a un peu laissé sur ma faim car un poil triviale. Mais pas de quoi vous gâcher le plaisir de la lecture.

Et la vie nous emportera, David Treuer

Au détour d’un article lu il y a quelques mois, j’ai repéré le nom de David Treuer comme étant un jeune auteur américain à surveiller. Et voilà que j’ai entre mes mains son roman Et la vie nous emportera paru en 2016.

Et la vie nous emportera - David Treuer

Dans les années 40, Frankie, jeune étudiant, rend visite pendant les vacances d’été à ses parents dans leur résidence estivale du Minnesota. Alors qu’un prisonnier de guerre allemand s’est échappé d’un camp à proximité, une battue est organisée au cours de laquelle une fillette indienne est tuée accidentellement.

Voilà rapidement l’intrigue du roman. N’espérez pas une histoire à proprement parler. Et la vie nous emportera est plutôt une galerie de portraits. Parmi lesquels ressort celui de Félix, l’indien en charge de l’entretien de la résidence familiale. Ancien combattant de la première guerre mondiale, il joue le rôle de père pour Frankie. David Treuer ratisse large en termes de thématiques puisqu’il y est question de la condition indienne et métis dans l’Amérique du XXe siècle, de la seconde guerre mondiale à travers les yeux d’un soldat à bord d’un bombardier, de l’homosexualité masculine dans les années 40 mais aussi de la persécution des juifs. Si je dois retenir un point commun entre ces différentes facettes du récit, c’est le thème de la distance. Les personnages s’éloignent les uns des autres et tout part de l’accident originel.

 

 

Dernier point, j’ai trouvé le titre un peu mou et neutre : et la vie nous emportera ne révèle pas grand chose de l’univers ou du récit proposé par David Treuer. En version originale, le roman est intitulé Prudence, du nom de la jeune fille décédée. Ce n’est pas parfait mais cela donne un peu de cachet au roman.

Zero K, Don DeLillo

Tiens, tiens, tiens… ça faisait un petit bout de temps que je ne vous avais pas embêté avec un livre de Don DeLillo. Ca fait deux ans et demi depuis que j’ai lu le curieux Bruit de fond. Le dernier roman de Don DeLillo vient d’être publié en français sous le titre de Zero K.

Zero K - Don De Lillo

Jeffrey, le narrateur, se rend dans un pays d’Asie centrale pour accompagner Ross, son père et Artis la compagne de celui-ci. Artis est gravement malade et, se sachant condamnée, elle entreprend de se faire cryogéniser en attendant d’être ressuscitée dans un futur plus ou moins lointain. La promesse est de se réveiller libéré de la vieillesse et des maladies tout en conservant un esprit vigoureux. Le processus a lieu dans un mystérieux centre nommé la convergence. Entre deux échanges avec son père et Artis, Jeffrey parcourt le centre. Il y croise des personnages étranges à qui il attribue lui-même des noms. Entre scientifiques de pointe, moine sorti de méditation ou simple charlatan, il ne sait pas où il est tombé : centre technologique de pointe ou secte millénariste, difficile de trancher. Le centre diffuse par ailleurs des vidéos déroutantes sur les murs de ses couloirs : guerre, violence, scènes de désolation. Histoire de ne pas regretter la vie terrestre avant de basculer dans le grand froid. Une fois Artis partie, Ross s’interroge s’il ne doit pas suivre le chemin de sa compagne, même s’il n’est pas malade.

Bon, vu comme ça, Zero K donne l’impression d’être un roman de science-fiction ou d’anticipation. Mais il ne faut pas se laisser abuser par la technologie présente dans le roman et le côté moderne de ce qui nous est décrit. Zero K est davantage un roman philosophique dans le sens où il questionne sur ce qui nous retient en vie. Que faire du reste de sa vie quand l’être aimé est parti comme c’est le cas pour Ross ? Que faire de sa vie quand on n’a pas pas de liens familiaux, une vie amoureuse peu passionnante ou pas de projet professionnel (le cas de Jeffrey) ? Quel sens trouver à la vie dans un monde moderne que Don DeLillo décrit comme étant à la fois froid, sombre et vide ?

La question de la fin de vie est centrale dans le dernier roman de Don DeLillo. Voie du futur ou lubie de milliardaire, on ne sait pas quoi penser de ce refus de la mort en misant sur une société future plus avancée et qu’on imagine plus heureuse. Le parallèle avec la religion est évident. Le paradis est ici remplacé par un futur technologique libéré des contingences terrestres. Et si l’approche est plus technologique, elle n’est pas pour autant dénuée de spiritualité. Don DeLillo se fait l’écho d’une quête de sens à travers les personnages de son roman. A la manière de Jeffrey, obsédé par les noms des gens et les définitions des choses qui l’entoure. Jeffrey s’approprie la réalité seulement une fois qu’il l’a nommée et définie.

Vous aurez compris que Don DeLillo n’est pas Patrick Sébastien. Il ne fait pas tourner les serviettes le samedi soir avec ses potes. Je vois Don De Lillo comme un artiste contemporain tant ses romans sont visuels. C’est le cas de Zero K avec je l’ai déjà dit les vidéos de catastrophes naturelles ou de guerre diffusées dans les couloirs de la convergence. Mais c’est aussi l’image frappante des nombreux corps nus flottant dans des réceptacles en verre dans les sous-sols du centre. Ou encore l’alignement du coucher de soleil et de l’axe des rues de New-York. Comme une oeuvre d’art contemporain, rien de cela n’est véritablement utile (dans le sens de fonctionnel) ou réjouissant. Ça n’arrête pas non plus la marche effrénée du monde. Mais si cela nous fait nous arrêter quelques instants et réfléchir, c’est toujours ça de gagné… S’il y en a une, voilà la petite pincée d’optimisme de Don DeLillo.